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Mardi 29 avril 2025![]() |
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![]() ![]() ![]() Cyrano aux tranchées
Une curiosité que cette rencontre entre Cyrano et un Poilu, quelque part autour de Verdun en 1918...
Cyrano de Bergerac, nous le savons, a connu de nombreuses déclinaisons, de plus ou moins grand intérêt, pratiquement dès sa création. Parmi ces palimpsestes, relevons une courte pièce en un acte et une scène écrite, jouée et publiée en 1918. Le moment est emblématique : l'armistice sera signée quelques mois plus tard seulement, peu avant la mort de Rostand. Cyrano de Bergerac aux tranchées, c'est donc le retour de Cyrano sur Terre alors que le monde est en guerre depuis 3 ans et sa longue discussion avec un Poilu. Les Français ont-ils changé entre le XVIIeme et le XXeme siècle ? Telle est la question principale. L'intérêt de cette oeuvre tient au traitement de la question qui évite l'agressivité gratuite et les insultes faciles. Cette pièce intéressante est à la fois légère et pesante au vu de son contexte historique, mais le plus important n'est-il pas, en somme, que l'on y retrouve notre héros immortel ? CYRANO DE BERGERAC AUX TRANCHEES La Superbe Pièce Patriotique de Joseph Suberville Jouée au front avec le plus grand succès Parue dans L'Idéal, revue mensuelle, 17eme année N° 3, mars 1918 La scène représente une tranchée : à gauche, une entrée de gourbi, sacs de terre, fils de fer barbelés, etc. Cyrano Palsambleu ! Le poilu Celui-là ? Cyrano Où vais-je ? Le poilu D'où sort-il ? Cyrano (à part) C'est un pays extravagant... Le poilu (à part) C'est un civil... Cyrano (même jeu) Avec ces trous... Le poilu (même jeu) avec sa marmite emplumée... Cyrano Un abîme... Le poilu ... un civil du Théâtre aux Armées, A moins que ce ne soit un vulgaire passant ! Est-ce ainsi qu'on s'habille à l'arrière, à présent ? Cyrano Ces fossés... Le poilu Les boyaux. Cyrano Quelle énorme charrue Creusa de tels sillons semblables à des rues ? Et quel âge d'airain épanouit partout Ces floraisons de fil de fer ? Le poilu Mais il est fou ! Cyrano Et ces immenses trous, que sont-ils ? Des cratères ? Suis-je sur le Vésuve ? Ai-je chu sur la terre ? En la planète Mars ? Le poilu Plutôt ! Cyrano ... ou dans Vénus ? Le poilu Ah ! mais non ! Cyrano J'aboutis à quel point terminus ? Je me serai trompé peut-être de planète... Le poilu Vous avez oublié d'emporter vos lunettes ! Cyrano (se retournant) Ce manant-là ! Le poilu Ne prenez pas de la hauteur Car le manant est un poteau... indicateur. Qui êtes-vous ? (sur un geste dédaigneux) N'écrasez pas les plates-bandes ! Cyrano Et vous-même, pour faire une telle demande ? Le poilu Moi ? Je suis un poilu. Cyrano Un Poil..? Le poilu U ! Le Poilu ! C'est un soldat qu'on a, comme il en a fallu ! Et qui sait mettre, avec le chic héréditaire, La pipe d'un grognard aux lèvres d'un mousquetaire ! Pour quelqu'un qui voyage en paraissant lorgner, Vous ne m'avez pas l'air d'être bien renseigner ! Quel est donc le Monsieur dont je serre la pince ? Cyrano Le baron Cyrano de Bergerac ! Le poilu Oh ! Mince ! Cyrano ? Cyrano Lui-même ! Le poilu Ah ! J'aurais dû deviner Que c'était vous ! Cyrano Comment ? Le poilu Pardi ! Par votre nez ! Cyrano Mon nez ? Le poilu Oui, votre nez, le Nez ! Cela vous fâche Qu'il vous immortalise autant que le panache ? Cyrano Merci ! Le poilu D'où venez-vous ? Cyrano Droit de la lune ! Le poilu Tiens ! Vous avez donc trouvé un huitième moyen ! Cyrano Très simple. Je baillais dans cette scélérate... Le poilu Certes ! depuis le temps ! Cyrano Et j'ai dit à Socrate : Cher Monsieur, je vais voir ce qui se passe en bas, Si Paris est toujours joli, si l'on se bat ; J'ai guetté la descente exquise de la brune, Et je me suis glissé dans un rayon de lune ! J'ai failli traverser l'aile d'un papillon Enorme qui passait... Le poilu Ah ! oui ! quelque avion ! Cyrano J'ai manqué me casser le nez comme un bélître Sur de gros hannetons aux bourdonnants élytres ! Le poilu Les marmites, pardi ! Cyrano Puis, je vis un vallon ; Ce doit être Saint-Cloud, pensais-je, et de mon long, Je me suis laissé choir, Monsieur, comme une bombe ! Le poilu Vous vous êtes fait mal ? Cyrano Je plane, quand je tombe ! Le poilu Vous êtes bien tombés ! Cyrano Où donc ? Le poilu Mais sur le front ! Cela vaut mieux que de tomber sur son... sur son... Vous comprenez ? Cyrano Si je comprends ! Mon coeur tressaille D'être arrivé quand il fallait : pour la bataille ! Le poilu Quoi ? Vous n'avez donc rien entendu de là -haut ? Cyrano Un bruit vague. Le poilu Le ciel est loin, ou sans écho ! Si vous saviez, depuis trois ans, quel tintamarre ! C'est la guerre ! Cyrano J'en suis ravi ! Le poilu Moi, j'en ai marre ! Voulez-vous mon flingot ? Je prendrai votre vol ! Cyrano Nous nous battons toujours contre les Espagnols ? Le poilu Monsieur, les Espagnols ont rabattu leur feutre, Et ne se battent plus contre nous : ils sont neutres. Nous nous battons contre les Boches ! Cyrano Contre les..? Le poilu Les Allemands ! Cyrano (rectifiant) Messieurs les Allemands ! Le poilu Il est Poli, le mousquetaire ! Il serait moins bégueule S'il recevait une marmite sur la gueule ! Nous avons contre nous, outre les Allemands, Les Bulgares, les Turcs... Cyrano Les Turcs ? Evidemment ! Le poilu ... Et les Autrichiens... enfin toute la clique ! Cyrano Et vous êtes tout seuls pour donner la réplique ? Le poilu Nous sommes quelques-uns ensemble, s'il vous plaît ! Serbes, Américains, Italiens, Anglais, Japonais, Portugais, Roumains, Belges et Russes... Cyrano Rien que çà [sic] ? Le poilu Rien que çà [sic] contre le roi de Prusse ! Cyrano Et depuis quand vous battez-vous ? Le poilu Oh ! depuis peu : Depuis trois ans ! Cyrano Trois ans ! Le poilu Nuit et jour. Cyrano Sarpejeu ! Et combien êtes-vous de soldats à vous battre ? Le poilu Des millions ! Cyrano C'est merveilleux ! Le poilu Et peu folâtre... Cyrano Mais pourquoi faites-vous la guerre ? Le poilu Parce que Nos champs étaient trop verts et notre ciel trop bleu, Qu'un sang trop enivrant jaillissait de nos vignes, Et que pour les Français la terre était bénigne Alors qu'elle boudait l'autre côté du Rhin ! Parce que nous étions le Peuple Souverain Qui se rappelait trop la vieille Marseillaise ; Parce que nous étions la Liberté Française Qui montait des vallons à l'assaut des coteaux, Tandis que se dressait derrière les poteaux De frontière, la Barbarie atroce et rouge ; Parce que nous étions le seul pays qui bouge, Alors qu'autour de nous les autres restaient cois ! Voilà pourquoi nous nous battons ! Voilà pourquoi ! Cyrano Je regrette d'avoir été de mon époque Maintenant qu'un Poilu, lorsque je passe, évoque L'Epopée admirable, immense de son temps, Où, pareils à des nains, surgiraient les Titans ! Pourquoi ne puis-je, avec mes Cadets de Gascogne, L'éperon à la botte et la plume au vigogne, Bondir, charger contre ces tas de malandrins, Et les jeter, le nez en avant, dans le Rhin ! Où sont-ils donc ? Je vais leur passer sur le ventre ! Le poilu Non, mais vous attigez ! Si vous voulez qu'on entre Dans ma guitoune, en cas... Cyrano En cas de quoi ? Le poilu De quoi ? Mais d'un bombardement ! Cyrano Lors ! montons sur un toit ! Comment se pourrait-il que dans un trou j'entrasse Comme un lièvre ? Je suis d'une meilleure race ! Le poilu Ah ? Cyrano Cyrano, vivant, ne pénétra jamais Quelque part, en courbant quelque peu son plumet ! Et mort, je n'entrerais même pas à Versailles, Si d'un pouce, le seuil diminuait ma taille ! Le poilu Mais vous ne craignez pas d'attirer les regards ? Cyrano Au contraire, et je vais me montrer aux remparts ! Le poilu Mais les Boches vont nous repérer ! Cyrano C'est possible ; Mais je n'abdique pas l'honneur d'être une cible ! Le poilu Oh ! moi, je n'y tiens pas ! Cyrano Moi, je m'en saurai gré. Le poilu Et lorsque vous serez tué ? Cyrano Je le serai. Le poilu Alors, qui gagnera la bataille ? Cyrano Qu'importe ! Il suffit qu'on se batte ! Le poilu Il convient qu'on s'en sorte ! Cyrano Se bat-on dans l'espoir d'un succès ? Le poilu Halte-là ! Monsieur, nous nous battons, nous autres, pour cela ! Cyrano Le temps a-t-il changé les Français héroïques ? Le poilu Ils sont ce qu'ils étaient en étant plus pratiques ! Ce qui change, c'est la manière, pas l'élan ! Vous autres, vous faisiez la guerre en rigolant ! Cà [sic] ne durait qu'un jour, vos batailles gentilles ! Vos canons ne lançaient que des boules de quilles ! Puis, quand vous reveniez dans vos nobles salons, Les dames se haussaient au bout de leur talons ; Les comtesses gloussaient aux marquises confuses : « Ma chère, il fut blessé par un coup d'arquebuse ! » Et vous aviez trois grains de plomb dans les mollets : Juste assez pour un pansement ! Cyrano Mais, s'il vous plaît ! Le poilu Tandis que nous, l'obscure et patiente clique, Nous, les Poilus de la Troisième République, Nous, qui sommes vêtus de boue, admirez-nous ! Nous qui ne portons pas de plumet, mais des poux, Qui ne sommes choyés par aucune marquise ! (Nous avons mieux, c'est vrai : des marraines exquises !) Nous qui peinons, nous qui luttons depuis trois ans ! Nous qui toujours avons à verser plus de sang Que n'en eurent jamais nos aïeux ; pauvres hères, Qui dûmes affronter l'effroyable Matière Transformée en canons, en obus, en étau, En bête qui vous guette aux replis des coteaux Et vous happe, et vous mord, et vous brise !... nous autres Qui n'illustrerons pas nos noms comme les vôtres : Je crois que nous valons encore nos aïeux, Que, s'ils furent plus breaux, ils ne firent pas mieux ; Que nous savons, autant que les meilleurs, nous battre ; Et que Napoléon, Louis quatorze, Henri quatre Qui jadis eurent l'heur de se battre avec vous, Seraient très honorés de se battre avec nous ! Cyrano Je n'ai jamais chanté, Poilu, ta Marseillaise, Mais nous avons tous deux la même âme Française : Nous luttions au soleil, vous luttez dans la nuit, Il faut bien plus de coeur, pour se battre aujourd'hui ! Ô France ! si diverse à la fois et la même Dans l'histoire et sous le soleil ! C'est une âme immortelle et c'est un ciel pareil Qu'en toi le monde toujours aime ! Ton sang passe à travers des millions de coeurs, De père en fils et d'âge en âge ; Mais sans cesse, partout, tandis qu'il se propage, Ton sang bat un rythme vainqueur ! Jadis il suffisait à nos Cadets farouches, Pour suivre ou venger n drapeau D'une rapière au poing, d'une plume au chapeau Et d'une chanson à la bouche ! Il faut plus que cela maintenant à tes fils ! Leur curage est de l'endurance ! Ils achètent la gloire au prix d'une souffrance Qui ne nous broyait pas jadis ! C'est un champ de bataille austère qu'ils traversent, Hérissé de renoncement ; Et ce n'est plus un sang généreux seulement, C'est de longues sueurs qu'ils versent ! Mais ils sont aussi beaux dans l'ombre d'un talus, Que nous, au regard de la terre ! Et je te reconnais, France des mouquetaires, Dans la France des Poilus ! Tu gardes sur ton front le charmant diadème Jalousé par les Etrangers ! C'est vainement qu'on dit : « Les Français ont changé » ! Ô France, ton âme est la même ! Ainsi, dans les vergers du brûlant Languedoc Ou de la tiède Picardie, Dans tous les coins de terre où, fidèle et hardie, Eclate la coix de ton Coq ; Les mobiles saisons l'une après l'autre passent, Avec leurs feux et leurs couleurs, Sur les arbres français renouvelant la grâce Des feuilles, des fruits ou des fleurs ; Les floraisons ont beau changer à chaque année ; C'est, à chaque année, éclatant Toujours la même sève et le même printemps De la Moselle aux Pyrénées ! ... Mais il est temps que je retourne au Paradis ! Morbleu ! puisque la mort incurable engourdit Mes poignets à côté de ma lampe rouillée ; Que vous faites d'ailleurs une guerre embrouillée, Une guerre de trous, qui jamais ne permet La fierté de dresser son torse et son plumet En plein soleil, et sur le plus haut monticule, Puisqu'être un point de mire est chose ridicule, Et qu'ici comme en face, on serait étonné, Et qu'on s'esclafferait d'apercevoir mon nez Surgir dans l'air limpide et sur la route large En menant les Cadets de Gascogne à la charge ; Puisqu'enfn nous avons des fils et des filleuls Dans ces Poilus, qui sauront bien s'en tirer seuls ; Mon intervention serait inopportune, Et tranquille, je vais remonter dans la lune ! Adieu ! Finissez bien ! Le poilu Le plutôt qu'on pourra ! Et dites bien à nous aïeux qu'on les aura ! Cyrano Oh ! ce renseignement me paraît inutile : Puisque vous êtes-là , vos aïeux sont tranquilles ! Mais la lune m'amèbe un suprème rayon. Je m'y glisse ! Le poilu Prenez bien garde aux avions ! (Le rappelant) Hep ! Ne laissez-vous rien pour aider notre tâche ? Quelque chose de bien français ? Cyrano (jetant son plumet) Si : mon panache ! Rideau |
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FRANCE
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![]() Publié le 18 / 12 / 2005.
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