Le poète habita à plusieurs adresses, mais c'est surtout celle du 2 rue Fortuny qui nous intéresse puisque c'est là qu'il écrivit Cyrano, dans ce beau petit hôtel particulier de la verte plaine Monceau. Il s'y installe en 1891 - il a 23 ans - et en partira en 1897.
Souvenirs de Rosemonde Gérard et de son amie Paule Faure
« C'était une maison modeste où beaucoup de silence régnait et beaucoup d'angoisse autour d'un travail toujours inquiet. C'était un homme qui rentrait sans parler, s'asseyait sans y penser, regardait les journaux sans les lire, et tournait indéfiniment sa moustache avec des yeux fixés sur un mur où la tenture figurait, je crois, d'immenses feuilles de marronniers. C'était une maim pâle écrivant fébrilement beaucoup de lignes d'une toute petite écriture et beaucoup de papiers déchirés, jetées sévèrement dans une corbeille. C'étaient des repas silencieux, des plaisirs renoncés, des désespoirs modestes et des recommencements courageux. »
Le même lieu, dans l'imagination du biographe
« Rue Fortuny ! Dans ce nom même il y a comme une promesse de bonheur. Ils ont débarqués là, au lendemain de leur mariage, là sont nés Maurice, et son frère Jean trois ans plus tard. Que de joie, que de travail entre ces simples murs, dans ce cadre adorable ! Le bonheur et la chance ont connu cette adresse. Cette rue un peu à l'écart, ces fenêtres sans importance. Maison bénie où le jeune poète a écrit les mille six cents alexandrins de
Cyrano dans la fièvre.
Il regarde les tapisseries à grands pavots, le piano de laque noire que Massenet à offert à Rosemonde le jour de son mariage, le petit bureau en bois de rose, les deux Fragonard. Sur ce bureau la comtesse de Genlis, l'aïeule de Rosemonde, écrivait ses lettres d'amour au duc d'Orléans.... »
Marc Andry Edmond Rostand
Plon, 1986
C'est écrit dans le marbre
Le 9 juin 1948, lors d'une cérémonie officielle, on posa une plaque de marbre blanc sur laquelle on peut lire :
Dans cet hôtel, Edmond Rostand écrivit Cyrano de Bergerac.
Dans son discours, Edouard Herriot rappela que «
Cyrano a été un moment de la Conscience nationale ».
Depuis, les promoteurs sont passés par là, avec délicatesse toutefois. Après avoir acheté cet hôtel ainsi que la maison voisine, ils les ont entièrement restructurés, tout en conservant les façades. Surtout, ils ont eu le bon goût de reposer, après les travaux, la précieuse plaque souvenir. Ai-je eu une influence sur leur décision ? Je n'aurai pas l'outrecuidance de le croire ; il n'empêche que, passant par là un jour, alors que les travaux commençaient, j'avais relevé le numéro de téléphone du promoteur et j'avais appelé son secrétariat pour attirer son attention sur ce petit morceau du patrimoine parisien. La plaque a donc retrouvé sa place, enfin presque, elle est posée un peu trop haut, on ne peut l'apercevoir par hasard, mais le principal est que la mémoire du lieu doit préservée.