Mis en scène par Denis Podalydès, Cyrano revient au Français après 30 ans d'absence.
Extraits de presse
L'ENDROIT DU DÉCOR
par Laurence Liban L'Express du 25/05/2006
Pour cette mise en scène de Denis Podalydès, à la Comédie-Française, l'acteur Eric Ruf tient le rôle de Christian et signe les décors. Il commente les coulisses de son travail en cinq actes.
Longtemps, Denis Podalydès a dédaigné Cyrano de Bergerac et Edmond Rostand: trop poussiéreux, trop cocardier. Puis, un jour, par la grâce du film de Jean-Paul Rappeneau, par celle de sa rencontre avec son vieil ami Michel Vuillermoz, il s'est lancé dans sa première mise en scène avec la joie au c?ur et la crainte à l'esprit: celle de décevoir les enfants, qui ne pardonnent pas qu'on sabote leurs rêves. Mais l'affaire s'est faite. Françoise Gillard serait Roxane et Eric Ruf, Christian, en même temps qu'il imaginerait les décors. Quant à Podalydès, il s'abstiendrait de faire l'acteur.
Eric Ruf scénographe, ce n'est pas nouveau. Longtemps, et sans un sou, le jeune homme a conçu des décors de toiles et de vents pour ses propres spectacles. Cette fois, il dispose des ateliers de la Comédie-Française, c'est-à -dire d'un savoir-faire unique et d'un grenier rempli de tout le saint-frusquin qui fait d'un chapeau et d'une plume un mousquetaire du roi. C'est donc un « théâtre d'acteurs », dit Ruf. Et de rire en douce devant le regard allumé de Podalydès découvrant le grand arroi de Cyrano et piaffant soudain d'y prendre pied pour jouer. Mais chacun à sa place. Roxane est bien gardée.
Acte Ier
Les coulisses de l'hôtel de Bourgogne
« La représentation de La Clorise, pièce de théâtre qui ouvre Cyrano de Bergerac, est généralement escamotée. Or elle revêt pour nous une fonction intéressante. D'une part, elle permet de dire le traumatisme que constitue, pour des comédiens, le fait d'être interrompus dans leur jeu. D'autre part, elle offre l'occasion de montrer la fabrique du théâtre. Le premier acte se joue donc dans des coulisses imaginaires d'où l'on aperçoit la scène, de profil, comme à travers le trou d'une serrure. On trouvera sur le plateau tout ce qui fait la vie de la Comédie-Française depuis des siècles : des châssis tendus de toile à beurre, des malles à costumes, des escaliers de bois, des toiles peintes, des éléments qui trouveront leur utilisation au cours du spectacle. On reconnaîtra un ciel inspiré de Constable, des feuillages peints d'après Corot, un morceau de portrait représentant Savinien de Bergerac, des inscriptions techniques où j'ai même glissé la date de naissance de mes enfants. Au fur et à mesure de l'acte, comédiens et techniciens feront le vide de ce bric-à -brac inspiré. »
Acte II
La cuisine de Ragueneau
« De l'entassement de l'acte précédent, seul un escalier a été épargné. Quelques fumées, et on pourrait se croire à un avant-poste de sentinelles dans Hamlet... Des rangées de casseroles de cuivre et de tartelettes descendront des cintres. C'est ce que j'aime, au théâtre. Tout y est possible, jusqu'à la dernière seconde. Ce sera donc une belle et joyeuse cuisine avec des animaux à poils et à plumes attendant d'être préparés et rôtis dans le rush d'un grand restaurant. Vingt comédiens s'y activeront où les plus grands, ceux qui ont dit les plus beaux textes du répertoire, auront l'humilité d'annoncer : "La tourte !", "Le gigot !" Quant aux casseroles, j'ai demandé aux artisans des ateliers de la Comédie-Française, à Sarcelles, de les culotter jusqu'à ce qu'elles ressemblent à des masques. D'Agamemnon, de bacchantes, de Dionysos. Comme un hommage au théâtre. Car Rostand en parle sans cesse : Ragueneau connaissait la tragédie et la comédie. Cyrano est metteur en scène. Et Christian vit le drame du comédien qui ne connaît pas son texte. »
Acte III
Le baiser de Roxane
« Devant une immense toile représentant un paysage de Corot s'élève une simple passerelle de bois. C'est une construction traditionnelle qui illustre sans chichis les didascalies de Rostand : une petite place, une petite maison, une plante grimpante. L'auteur dit que Roxane est une ?précieuse?, mais, pour nous, ce qu'elle a de plus précieux, au fond, c'est sa vie et son envie d'aimer, qui passent par des mots. Roxane n'est donc pas une petite nana de salon ; c'est une fille exubérante et pleine d'appétit qui habite la forêt. Une forêt sans haut ni bas, ni envers, ni endroit, la nature même, en quelque sorte. Le décor dans son entier est vert. Des arbres dont les silhouettes ont été découpées dans du bois sont de face, cette fois, alors que le spectateur les avait vus de dos à l'acte Ier. Au terme d'un grand remue-ménage, la scène se videra, et Cyrano se retrouvera seul avec Christian face à Roxane et au balcon suspendu. Comme si la parole amoureuse se résolvait en une lévitation de l'être. »
Acte IV
Le siège d'Arras
« J'ai toujours été fasciné par le destin du premier soldat mort en 1914. Comment la guerre se déclenche-t-elle ? Comment le premier coup de feu est-il tiré par des hommes qui étaient amis hier encore ? Je voulais donc une atmosphère paisible : les blés, les coquelicots, les nuages blancs dans le ciel bleu. Et j'ai imaginé une sorte de radeau de la Méduse en perdition, avec ses voiles rouges dont l'idée m'est venue de Bretagne et des petits drapeaux rouges effilochés qui signalent les casiers à huîtres en mer. Un casier à homards est d'ailleurs caché dans le décor. Certains le reconnaîtront peut-être. Tout cela compose un fortin niché dans les blés d'où dépasseront les têtes des soldats au sol, comme celles des enfants jouant dans la paille. Mais c'est la guerre. Le sang coule. Les soldats meurent dans des explosions de coquelicots. Rimbaud et Le Dormeur du val ne sont pas loin. »
Acte V
La gazette
« Quatorze ans après la mort de Christian, Cyrano vient faire à Roxane la chronique des événements du jour. Tout se passe sur les vestiges des actes passés: lettres, pétales de coquelicot gardés intacts, comme ces mères qui préservent à jamais la chambre du fils mort. La cage de scène est nue ; seule reste une balançoire où se juchent les nonnettes. Cyrano se bat contre ses vieux démons. Dans quelques instants, il mourra dans son fauteuil. Ce fauteuil est la réplique de celui dans lequel Molière est mort et que nous conservons à la Comédie-Française. Mais peut-être choisirons-nous une autre mort. Peut-être Cyrano pourrait-il s'envoler vers la lune, cette lune qu'il désire tant rejoindre. »L'Opinion, Maroc
La Comédie-Française, qui n'a pas joué depuis trente ans ?Cyrano de Bergerac?, revient à cette populaire pièce d'Edmond Rostand et la répète, pour la fin de la saison 2005-2006, Salle Richelieu à Paris, en vue d'une série de représentations du 27 mai au 23 juillet.
Tout comme lors de la dernière production, le nouveau spectacle est signé par un sociétaire de la troupe, Denis Podalydès, qui succède comme metteur en scène à Jacques Charon. Un autre sociétaire, Eric Ruf, a imaginé le décor et il interprétera aussi Christian.
Un pensionnaire récemment engagé, Michel Vuillermoz, joue le rôle-titre. Son choix témoigne d'un retour à l'habitude prise à la création en 1897 de faire interpréter Cyrano par un homme mûr plutôt que par un jeune comédien, comme Jean Piat le fit à partir de 1964.
Denis Podalydès revendique son choix car son ?spectacle repose sur des complicités?, dit-il. Avec Michel Vuillermoz, il a une ?longue histoire commune au théâtre et au cinéma?. ?C'est un double différent de moi-même?, affirme-t-il.
Complicités aussi avec ses camarades de la troupe avec en tête Eric Ruf et la sociétaire Françoise Gillard (Roxane).
?Notre plus grande crainte est que la mise en scène ne réponde pas assez au désir de théâtre inhérent à cette oeuvre?, avoue-t-il.
Selon Denis Podalydès, ?contrairement au cinéma, le théâtre ne peut faire appel au réalisme pour représenter le théâtre de Bourgogne avec détail et vivacité populacière, pour faire sentir la bataille et la guerre dans l'acte d'Arras, ou pour la scène du balcon quasi-symboliste etc...? ?Le théâtre, dit-il, doit utiliser les moyens du conte et du merveilleux?.
Dans le même esprit, Christian Lacroix mêle pour les costumes, légers et fluides, les deux siècles référents de la pièce, le XVIIe siècle (époque de l'action) et le XIXe siècle (celle de la création).
Edité le: vendredi 5 mai 2006.