Steve Martin est donc un acteur comique doué, mais aussi cultivé et avide de qualité. Il était naturel qu'il tombât un jour sur Cyrano
Voilà une comédie romantique écrite et jouée par Steve Martin, le comédien au regard mélancolique et aux cheveux prématurément blancs, capable d'alterner la folie la plus effrénée aux scènes les plus émouvantes. Rappelez-vous-le dans « Le père de la mariée », « Parenthood », et « All of me ». Steve Martin est donc un acteur comique doué, mais aussi cultivé et avide de qualité. Il était naturel qu'il tombât un jour sur Cyrano, le vrai donc, celui d'Edmond Rostand, et ait eu l'idée d'offrir au public américain the real thing, et non un épisode de Guignol populaire parfumé à la Cyrano. Cette histoire a le don de plaire à n'importe quel peuple, quels que soient ses goûts. Il y a de tout ; il suffit de savoir retirer ce qui ne sera pas apprécié, sans en enlever en même temps son charme irrésistible. Pour les Etats-Unis, la règle impérative, c'est : « Happy-end obligatoire » ! Une histoire où le héros meurt à la fin, pour un américain moyen, ça ne vaut vraiment pas le déplacement. Des décalitres de sang et de larmes peuvent couler, pourvu que ça finisse bien. Seulement, en enlevant la triste fin de Cyrano de Bergerac, on en enlève une grande partie de son essence. Alors, il faut trouver quelque chose d' équivalent. Mais, même sans sa fin émouvante, et dotée à la place d'un happy end pas trop ridicule, « Cyrano de Bergerac » peut devenir une comédie romantique des plus charmantes, pourvu que l'adaptation soit faite par un scénariste capable de comprendre l'essentiel de cette pièce extraordinaire. Un Cyranophile, quoi. Et le hasard veut que monsieur Steve Martin en soit un. La pochette du DVD n'indique que deux noms à la rubrique « scénario » : Edmond Rostand et Steve Martin. C'est lui qui a tout écrit, sans l'aide de l'habituelle batterie d'écriveurs professionnels ; et à regarder le résultat, ça a dû être un sacré boulot. Pas le moindre détail n'a été laissé au hasard ou négligé. L'adaptation est non seulement méticuleuse mais écrite avec un égal respect pour la pièce originale autant que pour le public à laquelle elle est destinée, sans mépris aucun pour l'une ni pour l'autre. Ce qui n'est pas peu dire, à en juger ce que les faiseurs de films américains ont fait des multiples chefs d'?uvre venant de France et d'ailleurs, tels que « Trois hommes et un couffin », « Un éléphant ça trompe énormément », et plus récemment de « Shall we dance » (petite perle du cinéma japonais). Et Dieu sait ce que les Américains ont fait des « Trois mousquetaires », qu'ils ont adapté pour le cinéma déjà plus de deux cent fois, sans jamais avoir réussi une seule version qui vaille de la regarder. Alors, un travail donnant un résultait aussi positif que cette petite comédie appelée « Roxanne » (en anglais avec deux n !), c'est vraiment une exception. Steve Martin a choisi pour décor une ville très jolie dans les montagnes de la Colombie Britannique, nommée Nelson. Une ville pittoresque aux maisons à l'architecture nostalgique, entourée d'un fabuleux panorama montagnard. Cyrano et ses Cadets de Gascogne sont devenus sapeurs-pompiers, Roxanne - la divine Darryl Hannah, la sirène inoubliable de « Splash » - pas seulement belle, mais précieuse et savante à souhait, scientifique spécialisée dans l'astronomie, excusez du peu... Le Bret , lui, est devenu une bonne fille, propriétaire d'un café et confidente de C.B., le capitaine des sapeurs pompiers, l'homme populaire, aimé de toute la ville, admiré pour son esprit et son agilité. Doté d'un nez extraordinairement grand, mais parfaitement serein à ce sujet, à cet exemple près qu'il n'est pas avisé de le regarder de trop près, si l'on ne veut pas se trouver de l'autre côté de la rue, foudroyé plus souvent par une réplique fulgurante que par un coup de poing. Arrive alors Chris, un bellâtre musclé bien rasé ; Roxanne et lui s'éprennent l'un de l'autre, et la plus célèbre machination amoureuse de la littérature dramatique de l'Occident prend son inévitable envol, jusqu'au moment où Roxanne réalise qu' après mille lettres, plus belles les unes que les autres, son amour a changé? que c'est maintenant qu'elle aime vrai, qu'elle aime mieux ! Qu'elle aimerait l'auteur des lettres, même laid, défiguré, ridicule... Chaque dialogue est un mélange de traductions littérales et d'alternatives américaines, prouvant tout l'effort que Martin a réalisé : la tirade sur le nez, la scène au balcon, tout y est, mais avec en plus une foule de blagues, de drôleries verbales et visuelles. Et d'un moment de mélancolie ça et là , en évitant cette sentimentalité américaine super-sucrée, qui, pour la plupart d'entre-nous, Européens, provoquent des caries dentaires plutôt que des larmes . Comme personne n'a besoin de mourir, à cause de la happy end, nul besoin de guerre. On l'a remplacée par un incendie tout aussi absurde que le siège d'Arras, quoique moins horrible? Le beau garçon, trouvant cette Roxanne vraiment trop savante et sophistiquée à son goût, se sauve avec une autre fille moins exigeante sur le plan intellectuel ; et il est assez amusant de voir comment tout cela aurait pu finir si Roxane avait compris un peu plus tôt que c'est sur les lèvres, là sous ce fameux nez, qu'elle aurait dû poser les siennes. Tout dans cette adaptation respire le respect et l'amour de Steve Martin pour l'original. Il est des nôtres. Trust me.