François Payot, Sieur de Lignières

Voyons ce Rivesaltes !
Vous qui chansonnez et la ville et la cour, ainsi que vous résume Christian, vous fûtes bien parmi les amis de Savinien qui l'aimèrent jusqu'à la mort, et quelques-uns même par-delà. Et Le Bret, qui atteste de cette amitié, rend hommage à votre talent dont les productions sont les effets d'un parfaitement beau feu>.
Somaize, dans son Dictionnaire des Prétieuses vous présente comme un fort galant homme et l'alcoviste de quantité de Précieuses des plus jolies et des plus spirituelles. Le grand Boileau vous cite dans son Art poétique et il égratigne le poète libertin que vous êtes, vous qualifiant de débauché, et de grand descendeur de bouteilles, ce qui, convenons-en, est assez proche de la vérité.
Cher François Payot, seigneur de Linière (ou Lignière), vous êtes né à Senlis en 1626... Donc, quand vous accompagnez Christian à l'hôtel de Bourgogne, vous ne devriez avoir que quatorze ans... Merci à Rostand de ce petit anachronisme ; sans lui, nous ne nous serions peut-être pas intéressés à vous, ce qui aurait été dommage ! Vous avez fait de solides études et profité largement de ce don de la satire dont vous a doté dame Nature, ce qui fait que si l'on peut compter vos amis, parmi lesquels Scarron, il doit être difficile de faire le compte de vos ennemis que vos mots blessent plus sérieusement encore que ne le ferait la pointe d'une épée. Tenez, Chapelain, oui, celui qui écrit des vers qui finissent en sacs en gâteaux à la rôtisserie Ragueneau, vraiment que vous a-t-il fait pour qu'ainsi vous assassiniez sa « ? Je vous cite :
« On nous promet de Chapelain,
Ce rare et fameux écrivain
Une merveilleuse Pucelle.
La cabale en dit force bien :
Depuis vingt ans on parle d'elle,
Dans six mois on n'en dira rien. »
Si encore, vous vous contentiez de ces pamphlets mais, franchement, quelle vie menez-vous, libertin et débauché que vous êtes, et ne vous en cachant pas d'ailleurs : La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice.
Alors, qu'avez-vous fait encore aujourd'hui, cher et aimable ivrogne ? Vous avez composé une chanson dont la fin était méchante, et qui colporte dans les rues et les ruelles la man?uvre sournoise du compte de Guiche, marié, excusez du peu, à la nièce d'Armand de Richelieu. Faire de Roxane sa maîtresse, en s'abritant derrière un mari postiche ! Il n'est pas gêné, Monsieur le Compte, un vrai triste sire. Heureusement que votre copain Cyrano veille ; à la porte de Nesles, il va vous disperser tous les gueux qui vont être battus, blessés ou même tués, tant pis pour eux. Et vous allez pouvoir, tranquillement, coucher chez vous...
A qui pensez-vous en s'endormant ? A celle qu'évoque Cyrano quand il raconte, à votre sujet« : il courut au bénitier, Se pencha sur sa conque et le but tout entier ? Faribole ? Vantardise ? Que nenni ! Charpentier dans son Carpentariana de 1724 raconte l'anecdote qui lui a été rapportée par Boileau lui-même : J'ai entendu dire à M. Despréaux, qui ne cherchait que l'occasion de lui donner un coup de dent, que la meilleure action que Lignières eût faite de sa vie, était d'avoir bu toute l'eau d'un bénitier parce qu'une de ses maîtresses y avait trempé le bout du doigt. Vous, cher Lignière, que l'eau fait sauver Comme quoi, il n'y pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour !
Mais Cyrano n'était pas éternel, il vous laissa seul face à vos ennemis, toujours plus nombreux et, ruiné, vous n'avez pas vu la fin de l'année1704. Vous devez être quelque part au paradis, au paradis des ivrognes, mais c'est déjà le paradis...
Lettre d'Eraste à Philis sur le poème de la Pucelle, Paris, 1656
Ce vers de Chapelain eut pour effet de l'énerver sérieusement !
« S'ils meurent, ils mourront, mais ne souffriront pas. »
Et François Payot, sieur de Linières, prit sa plus plume la plus acérée :
« S'ils meurent, ils mourront. » C'est parler en prophète
Et ces mots surprenants partent d'un grand poète :
Son esprit vous doit étonner
Car Chapelain sait deviner
Une chose quand elle est faite.
Tous ces fameux théologiens,
Les vainqueurs des Pélagiens,
Et des enfroqués molinistes,
C'est-à-dire les jansénistes
Ne cèlent point que Chapelain
A dans sa tête quelque grain,
On entend bien de quoi, sans proférer le reste,
Car lorsqu'il a décrit la demeure céleste
Et que mal à propos sa muse a débité
Ce mystère infini touchant la Trinité,
Il fait que la Vierge Marie,
Des bienheureux la plus chérie,
Burlesquement, pour nos anciens malheurs
Devant son fils verse des pleurs.
Homère en fait répandre à la mère d'Achille,
Et Vénus pleure dans Virgile.
O la belle imitation !
Dans un séjour rempli de satisfaction,
Où règne l'indolence, où l'on n'a point d'alarmes,
A la mère de Dieu faire verser des larmes !
Considérez aussi de quel air parle Dieu.
Ce rimeur en devrait avoir cent coups de verge.
Dans cet auguste et sacré lieu
Cet être souverain galantise la Vierge.
Il lui fait un beau compliment,
Et lui déclare galamment
Qu'en faveur de son sexe il veut qu'une bergère
Délivre promptement les Français de misère
Et que de leur bonheur elle soit l'instrument.
Qui ne condamnerait sa plume
Quand vers la fin de son trop cher volume
Il répète trois fois qu'au haut du firmament
Le Seigneur est dans une loge.
On en a chez les comédiens,
Les portiers en ont, et les chiens ;
Mais l'on dit que cet Allobroge
Doit, pour quantité de raisons,
En avoir une aux petites-maisons.
EPIGRAMMES
On nous promet de Chapelain,
Ce rare et fameux écrivain
Une merveilleuse Pucelle.
La cabale en dit force bien :
Depuis vingt ans on parle d'elle,
Dans six mois on n'en dira rien.
*****
Après une vie éclatante
La Pucelle fut autrefois
Condamné au feu par l'Anglois,
Quoiqu'elle fut très innocente :
Mais celle qu'on voit depuis peu
Mérite justement le feu.
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Thomas SERTILLANGES
 Lui écrire
 » Poésies de François Payot, seigneur de Linières
Publié le 05 / 05 / 2005.

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