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Roxane et les autres

Ragueneau

Le pâtissier des comédiens et des poètes

« C'était le meilleur homme du monde. il faisait crédit à tous le Parnasse, et quand on n'avait point d'argent, il était trop payé, trop satisfait et trop content quand seulement d'un petit coup d'oeil on daignait applaudir à ses ouvrages ». Ce portrait de Cyprien Ragueneau est signé d'Assoucy, on le trouve dans ses fameuses Avantures et permet de voir à quel point Lignières a raison de le qualifier le pâtissier des comédiens et des poètes et de mécène !


Quand la Duègne de Roxane lui demande où l'on peut, en secret, le voir et précise que L'on ira, demain, aux primes roses D'aurore, - ouïr la messe à Saint-Roch, Cyrano cherche où donner ce rendez-vous, mais tout affolé qu'il soit, c'est à Ragueneau qu'il pense car celui-ci perche en effet pas très loin de l'église, dans cette même rue Saint-Honoré.



Est-ce que Savinien, lui, connaissait Ragueneau ? C'est à peu près certain, et au moins de réputation. Ne croirait-on pas qu'il pense à lui quand, dans ses Etats de la Lune , il décrit une scène qui se déroule dans une auberge et où l'on paye ses repas avec des vers : « Après ce déjeuner, nous étions prêts à partir, et avec mille civilités dont ils se servent quand ils veulent témoigner de l'affection, l'hôte reçut un papier de mon démon ; je lui demandais si c'était une obligation pour la valeur du repas ; il me répondit que non ; qu'il ne lui devait plus rien et que c'était des vers :"Comment des vers, lui répliquais-je, les taverniers sont donc amateurs de rimes ?? ? ?C'est, me répondit-il, la monnaie du pays, et la dépense que nous venons de faire ici se monte à un Sixain que je viens de lui donner... »



Charmante coutume, mais Ragueneau devait en en avoir assez, tous les matins, de faire taire ses muses car même si L'heure du luth viendra, - c'est l'heure du fourneau ! Surtout, Mars mangeait les gâteaux que laissaient Apollon et même sa position d'honorable homme, pâtissier de Monsieur le Cardinal de Richelieu, ne lui permettait plus de laisser manger, le brave homme, ceux qui n'ont pas mangé. Il fut contraint de fermer boutique et, nous apprend d'Assoucy, il se retrouva même en prison pour dette pendant un. A sa sortie, il ne trouva dedans Paris aucun poète qui le voulût nourrir à son tour... Avec femme (Marie, et non pas Lise) et enfants, accompagné d'un petit âne tout chargé d'épigrammes, il prend la route du Languedoc où circule la troupe de l'illustre Théâtre. Molière l'engage en qualité de valet de carreau de comédie et il prend le nom de l'Estang mais étant le plus méchant comédien du monde, il ne lui reste plus qu'à partir encore, et à trouver une autre troupe qui lui accorde le rôle fort modeste de moucheurs de chandelle. Et notre Ragueneau meurt à Lyon, en 1654, avec la satisfaction de voir sa fille Marie devenir actrice et épouser La Grange, fidèle compagnon de Molière et rédacteur du fameux Registre.



« Voilà le destin des fous quand ils se font poètes, et le destin des poètes quand ils deviennent fous », conclut d'Assoucy.





Cyrano et Ragueneau, copains d'enfance

Dans La jeunesse de Cyrano de Bergerac, roman de H. de Grosse et J. Jacquin, Cyrano quitte Bergerac, laissant son château des Quatre-Vents, accompagné de son copain Ragueneau. L'aventure les attend à Paris...



Les recettes de Ragueneau

Furetière donne deux des recettes de Ragueneau dans son Dictionnaire :

Poupelin : pièce de four, pâtisserie délicate faite avec du beurre, du lait et des oeufs frais, pétrie avec de la fleur de farine. On y même du sucre et de l'écorce de citron. Le poupelin se sert d'ordinaire avec la tourte.



Darioles : Pièce de pâtisserie faite de crème enfermée dans un petit rond de pâte. Les enfants sont friands de darioles.



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Histoire de Ragueneau, in Aventures burlesques de Dassoucy, 1677 p. 297 de l'édition d'Émile Colombey, Paris, Delahays, 1858.



Au chapitre 12 de ses Avantures d'Italie, « après avoir montré l'excellence de son burlesque, pour faire voir le danger qu'il y a de vouloir grimper sur le Parnasse sans la licence d'Apollon, Dassoucy fait une plaisante description de quatre poètes fous ». Ragueneau est l'un d'eux.



Mais qui peut mieux authentiquer cette folie authentique [faire des vers] que le pauvre défunt Ragueneau? Ragueneau connu de tout le Parnasse, Ragueneau aimé de tous les poètes, et chérit de tous les comédiens. Enfin ce fameux pâtissier Ragueneau, qui, avec six garçons dans sa boutique, travaillant sans cesse auprès d'un feu continuel dans un four achalandé, faisait la nique à tous les pâtissiers de Paris; ce fameux pâtissier Ragueneau, qui ne faisait pleuvoir sur le Parnasse que des pâtés de godiveau. Ce père nourricier des Muses, après avoir bien nourri ces ingrates filles, hélas ! qu'est-il devenu ? C'est à vous, Beïs, que je le demande, qui lui inspirâtes la folie de faire des vers ; vous, Beïs, qui nous avez ravi le plus excellent pâtissier de Paris, pour en faire le plus méchant poète de l'univers. C'est vous, barbare, qui répondrez un jour dans la vallée de Josaphat, non seulement de tout l'encre et de tout le papier qu'il a gâté dans ce bas territoire, mais encore de tous les pâtés que (sans comprendre ceux que le Parnasse lui a escroqués) vous lui avez mangés à la gueule du four. Oui, Beïs, vous rendrez compte un jour de ce pauvre innocent car enfin c'était le meilleur homme du monde, il faisait crédit à tout le Parnasse ; et quand on n'avait point d'argent, il était trop payé, trop satisfait, et trop content quand seulement d'un petit clin d'oeil on daignait applaudir à ses ouvrages. Je me souviens que, pour avoir eu la patience d'écouter l'une de ses Odes pindariques, il me fit crédit plus de trois mois sans me demander jamais un sol.

Mais quoi, si le beau Phébus n'a pas le moyen de nourrir ses enfants, qu'aurait-il fait ayant à nourrir Phébus et toute sa séquelle ? encore s'il n'eût eu qu'à maintenir sa table je crois qu'avec son bien de patrimoine il aurait pu donner à manger encore à ses neuf S?urs ; mais quoi, il était encore chargé de tous ses enfants, et, s'il prend envie à quelqu'un de savoir si je dis la vérité, sans aller aux galeries du Palais, il n'a qu'à feuilleter les Livres des parties de Ragueneau, il y trouvera le nom de tous les poètes en aussi bel ordre qu'au Temple de mémoire : ainsi le pauvre Ragueneau, portant comme un autre Atlas tout le faix de tout l'État poétique, sous qui même je crois qu'aurait succombé celui qui porte le fardeau de tout le monde, n'étant payé de personne, et ses créanciers voulant être payés, le pauvre Ragueneau sous les ruines de son four resta entièrement accablé. Ce fut un jour marqué de noir pour Messieurs les poètes, que dès l'aube du jour on rencontra par les rues se torchant le bec, après avoir pris chez lui le dernier déjeuner, qu'une troupe de sergents affamés à la barbe d'Apollon encore toute dégoûtante de la graisse de tant de friands pâtés, eurent bien de la hardiesse d'arrêter et de prendre au collet son cher et bien aimé Ragueneau, et le mener encore sans aucun respect ni de ses vers, ni de ses Muses, dans le fond d'une prison dont (après un an de captivité) étant sorti pour donner au monde les excellents ouvrages qu'à l'imitation de Théophile il y avait composés, ne trouvant dedans Paris aucun poète qui ne le voulût nourrir à son tour, ni même écouter seulement l'un de ses vers, ni aucun pâtissier qui sur un de ses sonnets lui voulût faire crédit seulement d'un pâté de requête, maudissant le siècle, et pestant contre l'ignorance du temps, il en sortit avec sa femme et ses enfants, lui cinquième, comptant un petit âne tout chargé d'épigrammes pour aller chercher sa fortune au Languedoc, où, ayant rencontré une troupe de comédiens qui avait besoin d'un homme pour faire un personnage de Suisse, il entra avec eux en qualité de valet de carreau de la comédie, où, quoique son rôle ne fût jamais tout au plus de quatre vers, il s'en acquitta si bien qu'en moins d'un an qu'il fit ce métier, il acquit la réputation du plus méchant comédien du monde ; de sorte que les comédiens, ne sachant à quoi l'employer, le voulurent faire moucheur de chandelles ; mais il ne voulut point accepter cette condition comme répugnante à l'honneur et à la qualité de poète ; depuis, ne pouvant résister à la force de ses destin, je l'ai vu avec une autre troupe qui mouchait les chandelles fort proprement : voilà le destin des fous quand ils se font poètes et le destin des poètes quand ils deviennent fous.



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  Auteur

 Thomas SERTILLANGES

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Publié le 12 / 04 / 2005.


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